Industrialiser l’immobilier serviciel

Industrialiser l’immobilier serviciel

Pour définir la ville de demain, il serait tout à fait passionnant de s’inspirer du « jeu des formes » si cher à notre enfance — une étoile, un carré, un triangle… — à déposer au bon endroit. Les formes en trois dimensions jouant le rôle des usages ; le jeu dans son ensemble, celui de la ville, des bâtiments, du programme immobilier… Forme par forme, usage par usage, on élabore le bâtiment, qui s’intègre, se nourrit (et nourrit) son quartier comme sa ville à la manière d’un écosystème.

« Client centric » et industrialisation

L’ensemble du secteur semble orienter de plus en plus son action sur l’usager final d’un projet. Cette approche « client centric » de l’urbanisme met au cœur de sa réflexion le bien-être du citoyen dans ses rôles successifs et parfois concomitants : de travailleurs, de chef d’entreprise, d’étudiant, de senior, de touriste, de locataire, de propriétaire, de sportif, d’esthète… Afin d’éviter les frictions, les espaces doivent être pensés pour cet usager final : je peux certes être un salarié, mais je peux recevoir un colis à mon bureau grâce au service de conciergerie mis à ma disposition ; je suis un locataire, mais j’ai accès à une salle de sport et à un espace de coworking dans mon immeuble…

L’immobilier serviciel est un pur produit de cette réflexion et succède à une vision : « une zone géographique = un usage », qui a habité le monde durant de nombreuses années et qui nous a mené à construire des zones commerciales de périphérie, de grands lotissements et d’immenses pôles économiques. En cette période de crise sanitaire, cette équation a montré ses limites. Elle avait pourtant quelques avantages, notamment la rapidité de construction à l’aide d’une recette prédéfinie copiant les processus, les matériaux, les besoins de main d’œuvre… Gardons-nous de juger trop sévèrement ces projets, car c’est cette logique industrielle qui a permis de faire face à une demande immobilière croissante de la part de la génération de baby-boomers en plein essor économique.

On délimite classiquement trois temps dans l’industrialisation. La première révolution qui a permis de mécaniser la production en assistant le geste de l’ouvrier à l’aide d’une machine à vapeur ; la seconde qui a utilisé l’énergie de l’électricité pour faire de même tout en massifiant la production et en s’émancipant des contraintes nocturnes ; la troisième qui a consacré l’électronique et les technologies, ce sont donc des robots de plus en plus autonomes qui se sont illustrés. A bien y regarder, les industries n’ont pas évolué au même rythme et certaines manières de faire, plus « archaïques », ont perduré face à l’extrême modernité de certaines autres. C’est la critique qui a été faite au secteur de la construction dans un rapport livré en 2019 à Julien Denormandie, alors Ministre de la ville et du Logement, sur la nécessaire industrialisation de la construction. Ce rapport pointe du doigt les faiblesses du modèle de la construction classique et notamment sa faible productivité, constatant le retard de la France sur la construction hors-site et l’utilisation limitée du BIM. En bref, le BTP se retrouvait cantonné à la deuxième révolution industrielle plutôt que d’épouser totalement les dernières évolutions numériques.

Industrialiser l’immobilier serviciel

En parallèle et face à la crise du COVID-19, il est devenu flagrant que les actifs premium à la fois de logements et de bureaux assuraient une plus grande résilience et une plus grande rentabilité. Cette crise a également démontré que les acteurs d’une taille plus réduite (de type family office), faisaient preuve de plus de flexibilité et s’avéraient tout à fait armés pour faire face à la crise. Du fait de ne mener de front qu’un nombre « réduit » de projets immobiliers, pouvant s’appesantir davantage sur la programmation afin de valoriser leurs actifs. Les programmes sont donc sur-mesure et toujours différents.

Mais voilà qu’un problème se dévoile, comment construire les bâtiments dont nous avons besoin (plus de 500 000 logements par an, rénover le parc immobilier français pour une meilleure efficacité environnementale etc.) avec cette approche sur-mesure propre à l’immobilier serviciel et gourmande en termes de temps ? Pour des besoins pédagogiques, caricaturons la situation : il y aurait d’un côté les grands acteurs qui peuvent fournir le nombre de bâtiments nécessaire au développement économique du pays mais en aplanissant les usages ; et de l’autre côté, des acteurs plus petits capables de passer davantage de temps sur la programmation, mais au détriment du nombre de projets. Pour prendre le meilleur des deux mondes, il faudra obligatoirement franchir un nouveau cap industriel : une quatrième révolution.

Aujourd’hui, nous entrons quelques données dans un ordinateur et il est possible d’imprimer en trois dimensions un objet industriel et tout à fait sur-mesure. Si la troisième révolution industrielle a été celle de la standardisation des objets, la quatrième pourrait accoucher du sur-mesure serviciel ET industriel. Les technologies qui permettraient cette transition sont nombreuses : IA, développement de la capacité des processeurs (ordinateurs quantiques…) capables d’optimiser consommation et dépenses, technologies « smart », meilleure connaissance des matériaux… Il ne serait pas inenvisageable à l’avenir de voir un algorithme élaborer le plan de la ville : ses transports, ses bâtiments et ses usages associés…

Standardiser le sur-mesure, pourrait être le sous-titre de cette époque aux milles possibilités.

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